Article de René Pautal
Dès la construction et, surtout, dès la mise en circulation du canal latéral à la Garonne dans la traversée de Moissac en 1856, le règne de Napoléon III venant de commencer, on se trouva confronté à un problème de taille.
Quand les premières péniches se mirent à circuler, on s’aperçut que le système des ponts tournants* engendrait parfois – notamment lorsque deux ou trois péniches se succédaient – l’arrêt de la circulation plus particulièrement pour les piétons. Les habitants, demeurant entre canal et Tarn, ne pouvaient plus passer durant plusieurs instants car l’ouverture et la fermeture des ponts se faisaient manuellement à la force des bras. La circulation était totalement interrompue car, les quatre ponts-tournants restaient fermés, le temps que les manœuvres soient finies.
Dans le courant des années 1860, Moissac se dote d’une usine à gaz, afin de produire du gaz d’éclairage. Mais cette usine étant au bout de l’actuelle promenade Montebello, il fallait trouver un moyen de faire passer le tuyau du gaz pour alimenter le cœur de ville. Passer par-dessus le canal ? il ne fallait pas y songer. Passer sous le canal ? comment faire ? Voilà que naquit l’idée de construire une passerelle, ce faisant le tuyau du gaz pourrait utiliser la structure de la passerelle.
En août 1864, le maire, Jean Catusse, adresse une lettre à M. Carpi* chef de section du canal latéral lui faisant part « d’un projet d’établissement d’une passerelle sur le canal latéral à la Garonne pour mettre en communication les deux rives de la ville de Moissac, pendant que les pont-tournants sont ouverts » (AMM 2D 32). Auparavant M. Dorbes, architecte de la ville de Moissac, avait été sollicité pour élaborer un plan de passerelle.
L’an d’après, mars 1865, M. Magnès*, fait parvenir au conseil municipal deux plans « d’une passerelle à établir sur le canal latéral à la Garonne dans la traverse de la ville de Moissac en face de la rue du Puits-Baptisé ». La lettre souligne que « la passerelle est attendue avec une vive impatience par les habitants de Moissac »
La même année, dans une lettre adressée à M. le sous-préfet de Moissac, le conseil municipal décide de renoncer au projet de M. Dorbes en raison des inconvénients qu’il offre à la navigation. En effet, selon le projet de ce dernier la passerelle devait être entièrement en maçonnerie. Le projet de M. Carpi est donc retenu car, plus léger, plus élégant, et de plus à la mode. C’est l’époque du fer, c’est la période des halles en fer, des grands viaducs : le Garabit, le Viaur. Bientôt arrivera la Tour Eiffel. Les ingénieurs maitrisent ce nouveau matériau en architecture. La municipalité est séduite par ce projet tout en y apportant de petites modifications : passerelle américaine avec cette modification qu’on substituera aux poutrelles et garde-corps en bois des poutrelles et garde-corps en fer. Le devis estimatif se portant à la somme de 4 403, 82 francs.
Août 1866 : « Notification de l’adoption des modifications apportées au plan primitif dressé par M. Carpi ».
1967 : au mois de février, dans la lettre adressée à M. Carpi, le conseil d’administration de la Compagnie des Chemins de fer du Midi et du Canal approuve le traité passé avec la ville de Moissac. Ce traité stipule que des travaux sont à prévoir sur la partie de chemin de halage comprise entre les ponts-tournants de Sainte-Catherine et de Saint-Jacques, notamment « prévoir l’exhaussement du chemin de halage et du mur longeant le canal sur sa rive droite ». Au mois de mars, dans un courrier adressé à M. le sous-préfet, on précise que la ville de Moissac doit adopter une autre solution concernant la pose de la conduite de gaz et qu’il serait préférable de fixer les tuyaux du gaz le long de la passerelle. Tout semble se précipiter car au mois de mai le plan de la passerelle atterrit dans les bureaux de la préfecture de Tarn-et-Garonne.
En ce printemps de l’année 1867, il est urgent de commencer les travaux de l’édification de la passerelle car la ville de Moissac projette d’établir un éclairage au gaz de toute la ville*.
Septembre 1867, dans la lettre adressée à M. Carpi on peut lire : « je viens vous prier de faire tracer sur le parapet du canal le point exact où doit être placée la passerelle, ces indications me sont nécessaires pour la pose du tuyau de gaz de grande dimension qui doit être commencée demain sur les deux points qui doivent aboutir à la passerelle ». L’approbation de M. le ministre des travaux publics fut effective dès le mois d’octobre.
Avril 1868, reprise des travaux de la construction de la passerelle. Au mois de mai, reconstruction du mur du quai sur le canal, côté ville.
Dans une lettre adressée à M. Belon, directeur de l’usine à gaz, il est fait mention que la passerelle fut livrée au public fin mai, début juin 1868 (mais « les garde-corps de l’escalier ne sont pas encore en place huit jours après »)
Voilà donc l’histoire de l’édification de cette passerelle qui remplissait deux objectifs : d’abord permettre le passage des piétons comme il se doit pour toute passerelle, et secondement permettre le passage du gaz d’éclairage pour alimenter la ville.
Je n’ai, nulle part, trouvé place d’une inauguration publique de ladite passerelle.
En espérant qu’elle puisse être réparée car même, et surtout aujourd’hui, elle a son utilité.
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*il existait quatre ponts-tournants : à Saint-Martin, à Sainte-Catherine, à Saint-Jacques et celui des Marronniers situé près du port. L’actuel pont Saint-Jacques est le seul qui nous reste.
*dans une lettre partie de Turin, en date du 18 septembre 1848, adressée à M. Alphonse Delbrel, petit-fils du conventionnel Pierre Delbrel, le dénommé Évandre Joseph CARPI dit « Édouard », natif de Reggio en Émilie, époux de Dame comtesse Pauline Sanvitale de Parme, lui fait part de son retour prochain à Moissac. Cette lettre, dont je possède une copie, ne laisse aucun doute sur la participation de M. Édouard Carpi aux soulèvements révolutionnaires qui secouèrent la péninsule italienne à partir du mois de janvier 1848. Édouard Carpi est décédé à Moissac le 12 décembre 1888, section St. Jacques. Son épouse, née Sanvitale, est décédé aussi à Moissac le 25 mars 1896 à la même adresse.
*M. Magnès, ingénieur en chef, directeur des canaux (AMM 2D 32)
*mon arrière-grand-père, Maxime Pautal, exerça entre autres la fonction d’allumeur de réverbères.